lundi 16 mars 2009

les bombes du laos

Au Laos, l’héritage mortel des Américains
Le Temps
Des enfants à la recherche de métal à revendre sont des vicitmes désignées des sous-munitions. Laos mai 2006. Photo Tom Wagner/Handicap International
23 juin 08 - Le Laos détient un triste record : celui d’être le pays qui a été le plus bombardé par habitant entre 1964 et 1973. Sur les 260 millions de sous-munitions déversées par les Américains, un tiers n’aurait pas encore explosé.

Valérie de Graffenried/Le Temps, de retour du Laos - « Des enfants sautent encore régulièrement sur ces engins », soupire Manophet. « Vous voyez ce village sans électricité ? Seules deux familles possèdent la télévision. Elles demandent des sous à ceux qui veulent la regarder, pour payer les piles. Des gosses cherchent alors de la ferraille dans les champs qu’ils vendent au marché pour se faire de l’argent. Et certains tombent sur des sous-munitions, prêtes à exploser… ».

Xieng Khouang, province du nord du Laos. Manophet travaille pour le « Lao UXO – pour unexploded ordnance – Programme ». Un programme mis sur pied par le gouvernement laotien en 1996, avec l’aide des Nations unies, et que la Suisse soutient, à travers la Direction du développement et de la coopération (DDC), à hauteur de 4,5 millions de francs de septembre 2006 à fin décembre 2009.

La province est l’une des plus touchées du pays. Manophet, qui a accueilli trois orphelins, a lui-même vu une de ces bombes de très près. Il se rappelle d’une partie de pêche avec son frère quand il était petit : « Une bombe a tout d’un coup éclaté, sans raison, au milieu de la rivière. Je n’ai rien eu mais mon frère a reçu des fragments dans le ventre qui lui ont valu trois mois d’hôpital. »

Les chiffres sont impressionnants : entre 1964 et 1973, plus de 260 millions de sous-munitions dissimulées dans quatre millions de bombes au total (deux millions de tonnes) sont tombées sur le Laos. Près de 30% n’auraient pas encore explosé. Elles s’avèrent ainsi aussi dangereuses que des mines antipersonnel pour la population civile. Sur les 236 800 km 2 du pays, près de 87 000 km 2 auraient été touchés par le phénomène. Sur le plan national, 10% de la surface bombardée a été passée au crible par des équipes de déminage et 676 000 sous-munitions ont été trouvées et détruites. Mais dans la province de Xieng Khouang, seul 0,17% de la surface a été nettoyé, relève Kingphet Phimmavong, coordinateur d’UXO Lao.

Le principe des bombes à sous-munitions est simple : en plein air, un conteneur s’ouvre pour lâcher des dizaines ou centaines de « bombies », comme les appellent les Laotiens. Le CBU26 par exemple contient 670 sous-munitions de la taille d’une cannette de bière qui, elles-mêmes, abritent chacune environ 300 billes de métal. Si toutes les sous-munitions explosent, des fragments peuvent se retrouver sur l’équivalent d’une surface de plusieurs terrains de foot.

Le Laos est le pays qui détient le triste record d’avoir reçu le plus de sous-munitions par tête d’habitants. Il a été bien plus touché que le Vietnam. « Parce que les Américains qui rentraient du Vietnam à leur base thaïlandaise larguaient encore leurs dernières bombes en chemin », souligne Markus Waldvogel, du bureau de la DDC pour la région du Mékong. Autre raison : la « guerre secrète » menée par la CIA au Laos dans les années 60, avec la complicité de la minorité ethnique des Hmongs, qui subit encore aujourd’hui des discriminations. Une guerre cachée dont le but était d’éradiquer le Pathet Lao (parti communiste laotien) et la piste Hô Chi Minh utilisée par l’Armée populaire vietnamienne et les combattants du Front national pour la libération du Vietnam. Selon certaines estimations,le Laos a subi l’équivalent d’une mission de bombardement toutes les sept minutes pendant près de dix ans.

Les Américains n’ont fourni leurs cartes de bombardement aux autorités laotiennes qu’il y a quelques années. C’est sur la base de ces cartes très précises que les équipes de déminage s’activent, en priorité dans les surfaces agricoles. Et les consignes d’UXO Lao pour les visiteurs sont très strictes : toute personne qui suit les démineurs sur le terrain doit au préalable signer une feuille dans laquelle l’organisation se décharge de toute responsabilité en cas d’accident. « Regardez où vous mettez les pieds. Ne donnez de coups de pieds dans aucun objet. Beaucoup ne ressemblent pas à des sous-munitions mais sont très dangereux », peut-on y lire. Ou encore : « Si vous allez dans un village et voyez quelqu’un arriver vers vous avec des bombies, restez calme et informez immédiatement le personnel d’UXO Lao ».

Il fait une chaleur de plomb, ce jour-là. Et l’image qui s’offre à nous est surréaliste : plusieurs démineurs, dont des jeunes femmes, travaillent dans un vaste terrain autour d’une école flambant neuve, mais pas encore utilisée. Pourquoi ne pas avoir déblayé le terrain avant la construction du bâtiment ? « Notre planification ne le permettait pas », souligne une femme, son instrument de déminage en provenance d’Allemagne en main. « Mais comme les fonds des donateurs pour l’école devaient absolument être utilisés dans un certain délai, nous avons rapidement déminé une surface restreinte pour que l’école puisse être construite. Nous faisons le reste maintenant ». Deux explosifs ont été trouvés sur le lieu même de l’érection de l’école.

Le travail est d’ailleurs presque terminé dans cette zone. Les démineurs ont posé des sacs de sable autour des engins repérés. Car il va falloir les faire exploser à la TNT et à la dynamite. Avec son haut-parleur, un démineur avertit des explosions imminentes. Pour faire fuir les éventuels paysans qui seraient dans les environs. Nous aussi, nous nous éloignons de quelques centaines de mètres.

Baaam ! Une, deux, trois, quatre… quinze explosions d’une grande puissance. La bombe au phosphore trouvée à 30 mètres de l’école a provoqué un nuage de fumée blanche particulièrement important. Après dix minutes, les démineurs retournent sur les lieux, pour procéder aux vérifications d’usage. Non sans danger. « Nous avons perdu deux membres de notre équipe en 2002 », souligne Manophet. « Ils avaient fait exploser une bombe. Et quand ils ont voulu enlever les débris, ils n’ont pas eu le temps de s’apercevoir qu’il y en avait eu une juste en dessous… ».

On se déplace dans le village avoisinant. Et le constat est accablant : plusieurs sous-munitions viennent d’être découvertes à quelques mètres d’habitations. Dont l’une, tout près d’un petit chemin qui mène aux rizières. Le village est pourtant là depuis plusieurs générations. Mais les Laotiens découvrent encore régulièrement ce type d’engins. Selon les statistiques gouvernementales, les sous-munitions font encore près de 130 victimes par année, parmi lesquelles environ 35 morts. Le bétail est aussi souvent touché. « Les buffles et les vaches sont souvent attirés par les sous-munitions rouillées, car elles ont un goût de sel », explique Manophet.

Les mutilés s’en remettent d’ailleurs difficilement. C’est le cas de Miung, assis sur les escaliers de sa maison sur pilotis. Il a perdu un avant-bras, un œil et un index. Il est presque sourd et sa jambe droite ne répond plus. Son calvaire remonte à 1982. Un jour de travail ordinaire, il déplace un petit monticule de terre dans une rizière. Mal lui en a pris : après d’atroces douleurs, il a dû supporter deux mois de soins intensifs à l’hôpital. Miung âgé aujourd’hui de 46 ans, n’est pas marié. Il vit chez ses vieux parents. « Je ne suis bon qu’à sortir de temps en temps les buffles », souffle-t-il, timidement. Il n’a reçu aucune aide du gouvernement.

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