lundi 19 mai 2008

Le Laos soumis à la dictature de l'hévéa chinois




08-06-2007
Le long de la route en terre ocre, vallée après vallée, des centaines d'hectares réduits en cendres, parsemés de troncs calcinés. Certains flancs ravagés des collines sont déjà aménagés pour recevoir les plantations chinoises d'hévéas, l'arbre à latex servant à produire le caoutchouc. Dans la province de Bokéo, au nord du Laos, entre Birmanie et Thaïlande, non loin de la frontière chinoise, une forêt tropicale primaire d'une grande richesse écologique, l'une des mieux préservées au monde, s'étendait il y a quelques mois encore à la place de ces brûlis. Essences et fleurs rares, éléphants, gibbons, tigres, plantes médicinales, tout part en fumée dans cette région où cohabitent plus d'une trentaine d'ethnies différentes. «Les autorités nous ont toujours empêché de brûler la forêt pour nos plantations de riz et d'arbres fruitiers, maintenant, ils nous disent de le faire à condition que ce soit pour l'arbre à caoutchouc», explique le chef d'un village. Dans son district, 20 000 hectares (un quart de la terre) ont été promis à l'hévéa.
Argent facile. Pour les villageois qui ont commencé la plantation des arbres fournis par une compagnie chinoise, c'est le rêve d'argent facile. «On n'en avait jamais planté, mais les Chinois nous ont promis que ça rapporterait jusqu'à 30 centimes d'euro par arbre chaque jour », explique ce chef. Il n'a pas le choix. «Si on refuse, le gouvernement local a dit qu'il donnerait notre terre à d'autres planteurs venus d'ailleurs.» Comme la plupart des paysans convertis à l'or élastique, ce père de cinq enfants ne sait pas qu'il devra abandonner ses autres cultures pour assurer cette activité intensive, devenant ainsi dépendante d'une société qui fixe seule les prix. Le danger est la récupération des terres par les exploitants. «Ils travaillent lentement, ne se préoccupent que du lendemain, ce sont des gens de qualité inférieure», se plaint M. Kuang, expert agronome chinois et investisseur dans la province de Bokéo, où il est venu former les populations locales à la plantation de l'hévéa. Selon lui, «pas besoin de contrat» avec les paysans qui «ne comprennent rien» . Au nom de sa société Lei Lin, il a en revanche signé des accords avec les autorités : en cas de «mauvaise gestion» des plantations, des amendes seront imposées aux agriculteurs, voire l'éviction pure et simple. Et, si aucune main d'oeuvre qualifiée n'est disponible, des travailleurs étrangers seront sollicités. Une aubaine pour M.Kuang : «Pour l'instant, les locaux acceptent d'aménager les plantations car on les laisse planter du riz entre les arbres pendant deux ans. Mais quand viendra le moment de l'exploitation, ils risquent de ne pas tenir le rythme. Alors, on leur reprendra la terre et on fera venir de la main-d'oeuvre chinoise, ça ne manque pas chez nous», dit-il fièrement.
A travers tout le pays, c'est la même déferlante. D'environ 14 000 hectares de plantations d'hévéa aujourd'hui, les autorités ont planifié 200 000 hectares dans trois ans, exploités en majorité par des groupes chinois privés. Il s'agit de soulager les demandes de la Chine, assoiffée de matières premières, où la production a atteint son niveau maximal. Déjà vingt-sept sociétés chinoises exploitent le latex au Laos, et elles sont venues les mains pleines. Elles offrent les jeunes pousses, la technologie, les engrais chimiques, forment les paysans, construisent les usines de raffinage ainsi que les routes pour acheminer le caoutchouc vers la Chine, et ouvrent même des banques de crédit rural destinées exclusivement aux intérêts chinois. En échange, elles détiennent 40 à 80 % de la récolte pendant trente ans.
«Grand frère». Officiellement, cette porte ouverte aux exploitants chinois fait partie du plan de développement national dans un pays où huit personnes sur dix vivent de l'agriculture de subsistance. «La culture du caoutchouc se substitue à celle du pavot et permet d'améliorer le niveau de vie», justifie la presse officielle laotienne. C'est surtout une politique de la main tendue à la Chine qui, après la Birmanie et le Cambodge, a jeté son dévolu sur le Laos. Le «grand frère» communiste fournit presque la moitié de l'aide internationale au Laos, garantit une assistance militaire et diplomatique, et y investit massivement dans les mines, les exploitations forestières et les barrages électriques. C'est que, avec six millions d'habitants sur la superficie du Royaume-Uni, de grandes richesses naturelles, une administration corrompue et une économie sous-développée, le Laos ne fait pas le poids. «L'afflux de Chinois a un impact majeur sur la société et le commerce, et va sans doute conduire à une sinisation du pays. Malheureusement, dans un Etat à parti unique, il ne peut y avoir aucun débat», déplore Grant Evans, spécialiste du Laos depuis trente ans.
Les ONG internationales assistent, impuissantes, à ce changement. Sous le couvert de l'anonymat, la représentante d'une organisation occidentale qui travaille dans le nord du pays depuis dix ans déplore le choix du tout-caoutchouc : «La monoculture imposée est la marque de ce qu'on peut appeler une forme de colonisation moderne de la part de la Chine. Cela compromet tous nos efforts pour un développement durable et diversifié.» Pour Sombath Somphone, lauréat laotien du prix Magsaysay (le Nobel du développement), «nous sommes en train de passer directement dans l'arrière-cour de la mondialisation, au lieu de faire jouer nos atouts comme l'artisanat, l'agriculture et le tourisme».
Enlèvement. Les rares oppositions officielles à cette invasion du caoutchouc sont durement réprimées. Dans la province de Champassak, un millier d'agriculteurs refusant de couper leurs arbres fruitiers pour laisser place à l'hévéa ont été expulsés de leurs terres l'an passé. A Luang Namtha, province bordant la Chine, l'activiste Sompawn Khantisouk dénonçait la destruction de la forêt tropicale au profit de l'hévéa, et avait prouvé que l'écotourisme rapportait autant voire davantage que le caoutchouc en bénéficiant mieux aux populations locales. Il a été enlevé fin janvier par des hommes en uniforme. On est toujours sans nouvelles de lui.

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